• 4 problèmes que pose le contrôle des chômeurs

    A partir des enquêtes menées dans le cadre d'une thèse de sociologie, il est possible d'invalider certains propos implicites liés au renforcement du contrôle des chômeurs.

    Stephane Mahe / Reuters
    4 problèmes que pose le contrôle des chômeurs.

    Dans une note du ministère du Travail publiée par le Canard Enchaîné du 27 décembre, des conseillers du gouvernement font état de leur intention de durcir le contrôle des chômeurs. Or, le lien entre les comportements de recherche d'emploi et le nombre de chômeurs est une question problématique. A partir des enquêtes menées dans le cadre d'une thèse de sociologie, il est possible d'invalider certains propos implicites liés au renforcement du contrôle des chômeurs. En outre, de nombreux travaux antérieurs en sciences sociales critiquent les arguments spécieux qui sous-tendent les politiques rigoristes vis-à-vis des demandeurs d'emploi.

     

    Une perspective historique

    Le renforcement du contrôle des chômeurs suppose généralement un lien entre leur comportement et le taux de chômage. Il est étonnant que ce vieux discours (balayé dès le début du XXe siècle par les travaux de Max Lazard, qui montre des coefficients d'exposition au chômage différents selon la position des personnes sur le marché, indépendamment de leurs caractéristiques comportementales) soit réactivé dans une période où le nombre de demandeurs d'emploi atteint des records. Plus il y aurait de demandeurs d'emploi, plus ils détiendraient une responsabilité individuelle dans la situation? De juin 2008 à octobre 2017, le nombre d'inscrits à Pôle emploi a presque doublé: de 3,53 à 6,71 millions. Peut-on sérieusement imaginer qu'en l'espace de neuf ans, les chômeurs auraient cessé de chercher des emplois? D'année en année, le chômage a le même profil: un point culminant en novembre, puis une baisse jusqu'à juin ou juillet, et une hausse. On ne peut pas en tirer la conclusion que les chômeurs seraient plus motivés l'été, et moins l'hiver. Enfin, une analyse par cohorte montre la faiblesse de l'argument: les jeunes travailleurs des Trente Glorieuses, époque de plein-emploi masculin, se retrouvent aujourd'hui comme chômeurs seniors de longue durée. Auraient-ils perdu le goût du travail entre temps? L'explication du chômage par les comportements de recherche d'emploi n'est donc pas recevable.

     

    Un problème arithmétique

    Depuis les travaux séminaux de Robert Salais, le chômage peut être représenté comme un phénomène de file d'attente: il y a un nombre d'offres d'emploi donné, et des individus font la queue pour être sélectionnés. Certains sont proches de la sortie (ils ont de fortes chances de retrouver un emploi), d'autres en sont loin (ils ont de faibles espérances de retrouver un emploi). Souvent, les derniers arrivés au chômage, qui disposent de références solides ou de contacts éloignés dans la monde professionnel, sont aussi les mieux placés dans la file d'attente. Le rôle de Pôle emploi, en l'absence de tout contrôle sur le nombre d'offres, consiste à avancer les plus éloignés dans la file d'attente du chômage. Mais dans de nombreux cas, vu la concurrence entre chômeurs, l'offre prise par un demandeur d'emploi prive tout simplement un autre demandeur d'emploi.

     

    En 2015, d'après les données de Pôle emploi, environ 150.000 offres étaient ouvertes en France. C'est une estimation large, car le périmètre des "emplois non-pourvus" demeure très flou. Gardons à l'esprit que de nombreuses offres sont non-pourvues car elles semblent inacceptables aux chômeurs et à leurs conseillers: des postes très dégradés, voire même qui violent le droit du travail.

     

    Sur la même période, 24 millions de contrats de travail ont été signés (en majorité des CDD de moins d'un mois). Les offres ouvertes représentent 0,6% des offres qui ont été pourvues. Dit autrement, 99,4% des offres ont trouvé preneur sur le marché. Plutôt que de s'étonner que quelques offres restent non-pourvues, on pourrait au contraire s'étonner qu'autant de salariés acceptent de travailler dans des emplois souvent atypiques.

    Même en obligeant les chômeurs à accepter toutes les offres disponibles, seul 1 sur 44 retournerait en emploi. Aucune marge n'est disponible de ce côté-là pour lutter contre le chômage. Le chômage de masse dépend donc du nombre d'emplois et des épreuves de recrutement, pas des chômeurs.

    Une mesure contre-productive?

    De nombreux travaux ont montré que le vécu du chômage prend différentes formes, selon les ressources dont disposent les individus privés d'emploi. Les plus endurants, qui parviennent à se projeter dans l'avenir et à récolter des soutiens, ont une capacité accrue à retrouver un poste sur le marché de l'emploi. Ceux qui cherchent frénétiquement sont exposés à des phénomènes d'épuisement, puis éventuellement de découragement. Or, l'accroissement des pressions peut tout à fait conduire à renforcer ce risque.

    En outre, les chômeurs sont nombreux sur une même offre. Les menacer de sanction signifie multiplier les réponses, même peu ajustées, que recevront les employeurs qui recourent à Pôle emploi. Avec le risque de les noyer sous les réponses, et ainsi de les éloigner de l'opérateur public pour leur prochain recrutement.

    Non seulement la mesure peut être dommageable vis-à-vis des employeurs, mais elle l'est bien sûr aussi pour les chômeurs. Une sanction signifie une baisse de revenus, dans une population où 38% des personnes sont déjà en risque de pauvreté d'après Eurostat. Ce risque de pauvreté atteint 71% en Allemagne, pays où les chômeurs de longue durée ou sans droit à l'assurance doivent accepter toute offre sous peine de radiation. Aussi, plusieurs centaines de milliers d'entre eux enchaînent les contrats précaires qui les ramènent inéluctablement auprès de l'opérateur de placement, avec une indemnisation toujours plus faible.

    Cela ne change rien non plus au retour à l'emploi, comme l'ont montré les différents travaux d'économistes sur les États-Unis, la Suisse, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, résumés ici par Ioana Marinescu. Bien au contraire, des chômeurs ont quitté le marché du travail face aux contrôles tatillons et aux vexations ressenties. Renforcer le contrôle des chômeurs peut donc aussi conduire à doper le taux d'inactivité de la population, et donc ultérieurement mettre en péril l'équilibre financier de l'assurance-chômage.

    Quel droit pour les chômeurs?

    Actuellement, les chômeurs sont déjà sensés accepter des "offres raisonnables d'emploi". Il s'agit d'un point étonnant, dans la mesure où les allocations chômage ne constituent pas un exercice de solidarité nationale, mais la contrepartie de sommes que les chômeurs ont préalablement versées en cotisant.

    Néanmoins, très peu de conseillers opposent des "offres raisonnables d'emploi" aux chômeurs. Ils savent que les offres de bonne qualité sont très vite pourvues, et ils sont hésitants face au flou du "raisonnable". A partir de combien d'annonces lues dans les journaux considère-t-on qu'une personne recherche activement un emploi? Comment pondérer la distance kilométrique selon le nombre d'enfants? Quand est-on un chômeur âgé? Autant de question qui obligent les conseillers à trancher, alors que beaucoup se sentent mal à l'aise face à de tels dilemmes. Dans ce flou, les dispositions personnelles des guichetiers jouent un rôle croissant vis-à-vis du parcours des demandeurs d'emploi.

    Ce flou est renforcé par la pluralité des vécus du chômage. Au bout d'un an, l'obligation officielle de reprendre un emploi dont le salaire est supérieur à l'allocation chômage a des conséquences très différentes pour un chômeur dont l'indemnisation est élevée et une travailleuse sortant d'un temps partiel, qui pourrait être contrainte de reprendre un emploi à 500 euros.

    En conclusion, ce mot d'ordre témoigne d'une approche univoque et douteuse du phénomène du chômage. Il renforce la stigmatisation des demandeurs d'emploi et les soupçons qui pèsent sur eux (en "vacances", voire même "aux Bahamas", d'après certains mots d'ordre contemporains). Alors que les travaux sur le non-recours aux droits se multiplient, ils restent rares sur le non-recours aux allocations chômage. Pourtant, il s'agit d'une conséquence logique de la stigmatisation: la baisse des personnes qui osent s'inscrire, de peur d'être associés à la fainéantise. Cela a des effets bien tangibles pour les budgets publics et paritaires, en permettant des économies indirectes aux frais des chômeurs, dans une période de redistribution fiscale à destination des foyers les plus aisés.

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