Monsieur François Rebsamen, le nouveau ministre du travail, s’est alarmé sur France Inter, le 19 novembre dernier, de l’existence de « quatre cent mille emplois non pourvus et abandonnés parce qu’ils ne trouvent pas de réponse ». Ces propos font écho aux « cinq cent mille offres d’emploi qui ne sont pas satisfaites » qu’évoquait M. Nicolas Sarkozy lors d’un entretien à l’Elysée le 24 août 2008, en ajoutant : « Certains ne veulent pas se mettre au travail. » Les chiffres fluctuent au gré des commentateurs, mais l’argument perdure. « Six cent mille emplois vacants : les chômeurs veulent-ils vraiment travailler ? », se demande ainsi l’animateur Jean-Marc Morandini (1). En mai 2014, le Mouvement des entreprises de France (Medef) a lancé sur France Télévisions une campagne de communication fondée sur la même équation facile. Pourtant, journalistes et hommes politiques brassent des chiffres sans connaître leur origine et leur signification réelle.
Première cible de ces campagnes : les emplois non pourvus, c’est-à-dire les offres retirées sans avoir conduit à une embauche. La façon dont leur nombre est établi est particulièrement édifiante. Comme Pôle emploi accueille un tiers (38 % en 2012) des propositions d’embauche françaises, on triple tout simplement le volume de celles qui ne sont pas pourvues (126 000 en 2012). Le résultat est hasardeux : Pôle emploi recevant les offres les plus difficiles, rien ne permet d’extrapoler à partir de cette source.
De nombreuses annonces échouent sans que l’on puisse incriminer les chômeurs : salaire ridicule par rapport aux compétences exigées, recruteur inexpérimenté, inexistence du poste annoncé, l’offre servant à la constitution par l’employeur d’une base illégale de CV, etc. La problématique des emplois non pourvus gomme l’enjeu de la qualité du travail, en postulant la commensurabilité de toute offre. Regardons plus précisément les offres qui circulent à Pôle emploi. Nombreuses sont les propositions du type « nettoyage industriel, 1 heure par semaine, 9,75 euros l’heure » ou « aide ménager(e), 2 heures par semaine, 11 euros l’heure ». Les chômeurs à la recherche d’un emploi à plein temps ne s’intéressent logiquement pas aux contrats courts… mais ils font monter le nombre d’emplois non pourvus. On leur reproche de ne pas vouloir travailler, alors qu’ils veulent au contraire travailler davantage ! Beaucoup sont aussi piégés par des trappes à pauvreté. Entre 2007 et 2011, environ cinq cent mille personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée (2).
La France sous la moyenne européenne
L’existence d’offres non pourvues indique que les demandeurs d’emploi ne sont pas tous réduits à travailler dans n’importe quelles conditions. Or, lorsqu’ils recherchent vraiment des salariés, les employeurs disposent toujours de leviers, ceux qu’ils mettent en œuvre en cas de crise d’embauche : hausse du salaire, meilleurs horaires ou meilleures conditions de travail…
Seconde cible, rarement distinguée : les offres vacantes. Il s’agit d’une photographie instantanée des postes nouvellement créés, encore vides ou bientôt vacants, que l’employeur souhaite pourvoir dans un délai donné. Par définition, un emploi doit être vacant avant d’être occupé. On lit trop souvent cet indicateur à l’envers. Chômage et emplois vacants évoluent en sens contraire. Plus le nombre d’emplois vacants est élevé, plus on trouvera d’emplois disponibles ou en voie de création.
La France comprend un nombre d’emplois vacants bien inférieur à la moyenne européenne ; seules l’Italie, la Pologne et la Lettonie affichent un taux moindre (3). Une hausse des emplois vacants constituerait une bonne nouvelle, pour les chômeurs mais aussi pour les salariés. Car la diminution du chômage leur permettrait de retrouver une position de force pour négocier des hausses de salaire.
98% des propositions trouvent preneur
Admettons le chiffrage du Medef, avec quatre cent mille offres vacantes. Pour avoir une photographie complète, il faut rapprocher ce chiffre des emplois pourvus dans le même temps. En 2012 par exemple, les employeurs ont déposé auprès des Urssaf vingt et un millions de déclarations préalables à l’embauche (trois millions de contrats à durée indéterminée et dix-huit millions de contrats à durée déterminée, hors intérim). Cela signifie que 98 % des propositions d’embauche émises trouvent preneur…
En outre, les mêmes offres peuvent demeurer vacantes plusieurs années, ce qui réduit leur poids par rapport aux vingt et un millions d’embauches annuelles. Ajoutons aussi que cela suppose qu’il n’y ait pas de doublons. Or la même annonce peut se retrouver à Pôle emploi, en agence d’intérim, à la chambre des métiers… Cela représente statistiquement trois emplois vacants ; mais, en définitive, un seul sera créé, sans qu’aucun chômeur ait jamais refusé les deux autres !
Derrière les discours lénifiants et hors de toute proportion sur les difficultés de recrutement, la question fondamentale de la politique d’emploi demeure l’accroissement du nombre d’offres, et pas leur pourvoi intégral. Ranger les campagnes sur les postes vacants ou non pourvus au rang des discours trompeurs et inoffensifs serait une erreur. Elles ont des conséquences financières pour les intéressés. En réalité, assimiler les bénéficiaires de droits sociaux à des paresseux ou à des fraudeurs en puissance conduit une partie significative d’entre eux à ne pas faire valoir leurs droits. En France, le montant des droits non perçus excède largement la fraude sociale (4) ; la fraude à Pôle emploi, elle, ne constitue que 0,84 % de l’ensemble de la fraude (5). La stigmatisation des chômeurs ouvre la voie à un accroissement du non-recours aux allocations et à une réduction de celles-ci ; doubles économies faites au détriment d’une population qui vote de moins en moins.